Extrait de "Guitarist magazine -
N°83 - septembre 1996" avec l'aimable autorisation d'Olivier Garcia.
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Albert Lee, Eric Clapton et Marcel Dadi se
rencontrent. Ils parlent évidemment guitare.
Albert Lee: «Je suis le meilleur guitariste de Grande Bretagne.»
Eric Clapton: «T'es sûr ? Dieu m'a confié que j'étais le plus grand sur
terre.»
Marcel Dadi: «Moi, j'ai dit ça ?».
Et Marcel après avoir malicieusement livré cette histoire s'esclaffait d'un
air narquois, raconte Pat Vrolant, l'un de ceux qui l'ont côtoyé dans la
musique depuis longtemps. Un Dadi à l'humour aussi prompt qu'une carrière légendaire
que tous les guitaristes et amateurs de guitare connaissent, ou croient connaître,
sans toujours bien mesurer l'ampleur de son parcours. Etre le premier non américain
à accéder au "Walkway of Stars du Country Hall of Fame" de Nashville
en aura été l'un des derniers témoignages avant ce p... de vol TWA.
Mais revenons au commencement.
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Le bal du débutant
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Le 20 août 1951 naît en Tunisie Marcel Dadi,
de son vrai nom comme on le lui demandait parfois. L'époque est agitée
et l'indépendance des jeunes nations du Maghreb conduit la famille de
Marcel en France. "J'y ai commencé la guitare vers 9 ans, parce
qu'un de mes frères en jouait... et peut-être par esprit de compétition"
nous avait-il dit. "C'était l'époque des Shadows et, disposant
d'une guitare à cordes métal, je me suis retrouvé soliste dans de
petits groupes. Et puis sont arrivés les Beatles, les Stones, les Kinks..."
Une période dont se souvient Bernard Laux, guitariste français
aujourd'hui au Danemark: "Nous étions très proches l'un de l'autre
de 1964 à 1968, année où j'ai quitté la France.J'ai même joué avec
lui dans un des groupes de rock de ses tous débuts. Il s'était acheté
une Gibson stéréo comme celle de B.B. King. Une 345 et un ampli
Bandmaster pour avoir le son de Clapton " précisait Marcel. "J'étais
devenu le soliste qui pouvait dépanner un groupe parce que je connaissais
le répertoire par cœur". Déjà bosseur mais encore rocker.
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Bernards Photzer & Bernard Laux |
"La vague folk a déferlé alors sur la France, Bob Dylan,Donovan,
Pete Seeger... et Hugues Auffray dont le guitariste Bernard Photzer
habitait juste à côté de chez nous" poursuit Bernard Laux. Bernard
Photzer, d'abord passionné par la musique des Ventures, s'est mis au
style Nashville, initié par un autre guitariste, Robert Gretsch. Il fait
découvrir aux deux jeunes apprentis leurs premiers albums
de Chet Atkins,
Merle Travis et Doc Watson qu'il se procurait en tournée.
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Marcel est immédiatement
fasciné: "Comme mes parents, après de mauvais résultats scolaires,
m'avaient mis en demeure de revendre les guitares électriques,
d'arrêter tout et de ne jouer à la maison qu'après les devoirs... j'ai
commencé à faire de réels progrès en picking". "Chaque
nouveau détail qui nous permettait d'avancer dans la technique consistant
à jouer la basse et la mélodie en même temps nous paraissait une découverte
gigantesque", dit Bernard Laux. "Je me souviens encore du soir où
Marcel m'a joué la version de Chet Atkins de Lullaby of Birdland sur sa
Gibson J 55". Ses yeux brillaient de joie. J'étais stupéfait de sa
rapidité à maîtriser cette ligne de basse complètement indépendante
de la très belle mélodie». Bernard Photzer: "Loin de se contenter
de reproduire ce qu'il entendait, comme la plupart des autres, il essayait
de comprendre, de rationaliser le système du picking. On se voyait régulièrement
quand je rentrais de tournée, en rêvant de voir Chet Atkins simplement
à la télé. A chaque fois, il me sidérait. En trois, quatre ans, il a
tout maîtrisé». De son côté, Bernard Laux évolue du country vers le
folk de DocWatson. (J'ai rencontré Roger Mason, j 'ai joué avec le
guitariste et banjoiste Terry Smith au Centre Américain. Un jour Terry
m'a montré le système des tablatures, utilisé depuis longtemps pour le
banjo. Puis j'ai été attiré vers le jazz et j'ai voulu l'étudier à
Berklee. Avant de partir, j'ai été dire au revoir à Marcel et je lui ai
donné tout ce dont je n'avais plus besoin puisque j'allais le trouver aux
Etats Unis, disques, tablatures, adresse du Centre Américain... C'est à
partir de là, fin 1968 que Marcel a commencé son ascension
fabuleuse."
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Le premier groupe...
Dadi
-
??? - Assouline -
Levy |
En route pour la gloire
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"Marcel
est apparu pour la première fois dans un Hottenanny pendant la saison
69/70" se souvient Lionel Rocheman, le guitariste-chanteur qui organisait
au Centre Américain ces soirées dont la première partie se composait
d'amateurs livrés sur scène à l'approbation ou aux sifflets du public. Avec
le TMS, le Centre Américain était un des hauts lieux du folk parisien. Lionel
Rocheman: «Steve Waring, Roger Mason, Alan Stivell, Joe Dassin et beaucoup
d'autres s'y produisaient. Le soir où Marcel a joué, les gens n'ont rien
compris. Ils sont resté sur le cul, ils connaissaient pourtant déjà le
picking, mais pas ce style. Il avait d'abord joué en flat picking avec un autre
guitariste, mais le public en redemandait. Ils n'avaient répété que deux
morceaux, Marcel s'est lancé tout seul. En finger picking. Cette incroyable
sensation d'entendre deux instrumentistes et de n'en voir qu'un a renversé
l'auditoire. C'était prodigieux". Le bluesman Alain Giroux fréquentait
aussi les lieux: "J'appartenais plutôt à la branche blues-folk, comme
Bill Deraime, Gabriel Yacoub ou Eric Kristy, mais on n'arrêtait pas de parler
musique avec Marcel. Il m'avait confié son envie de jouer de la guitare comme
un trapéziste. Triple saut arrière sans filet. Et il le faisait, il continuait
son picking avec un petit sourire en tournant les clés pour s'accorder en open
tout en parlant au public. Il se livrait à d'incroyables facéties techniques.
C'était le prototype du guitar-héros avant l'heure, en version conviviale. On
nous opposait en nous étiquetant: Dadi la technique, Giroux le feeling. En
réalité, nous n'exprimions pas la même chose dans le formidable
bouillonnement musical d'une époque où tout restait à découvrir.» Et la
réputation de Marcel Dadi commence à se répandre dans le tout Paris amateur
de musique. Les Hottenannies dont il devient une vedette font salle comble. La
presse s'y intéresse. Jacques Vassal, le spécialiste folk du magazine Rock
& Folk, alors bible incontournable d'informations, est un habitué.
«C'était l'endroit où l'on venait découvrir de nouveaux artistes
et Dadi en faisait partie. Le guitariste-chanteur Hervé Christiani m'avait parlé
de celui qui jouait très technique, dans le style Nashville peu familier des
amoureux du folk de l'époque. J'avoue qu'au début, j'ai eu du mal, mais la
performance de ce type était si brillante que je me devais de l'interviewer
pour le magazine. Et j'ai découvert derrière le personnage qui pratiquait la
musique des beaux habits, costard et strass nashvilliens, en opposition à la
majorité baba, un amoureux fou de guitare. Il m'a fait comprendre que la
musique des bouseux américains était remplie de finesses, de subtilité, de
liesse. Son parti-pris spectaculaire était pour lui l'indispensable ingrédient
pour séduire le public sans chanter. Il m'a convaincu. Au point que je me suis
même offert une guitare pour suivre les cours qu'il commençait à donner.» Et
la légende de Marcel se met en place.
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Roger Mason
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Gabriel yacoub
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L'avènement des années 70 va coïncider avec celui du guitariste.
L'envie de partager ce qu'il avait découvert chez Chet Atkins et
Merle Travis entraîne Marcel à commenter sans cesse les morceaux
qu'il joue. Avec une telle verve et une passion si communicative
qu'il passe naturellement à l'enseignement. D'abord au Folk Song
Center de Lionel Rocheman, puis dans le magasin des frères Charnoz,
Quincampoix, un autre haut lieu parisien de la guitare folk. Celui
qui a tout appris «à l'oreille» va vite devenir un prof que les
élèves s'arrachent. «D'autant qu'il avait, là aussi,
rationalisé la tablature pour en faire l'outil d'accession
immédiat au picking» ajoute Bernard Photzer. De cours en cours,
les événements s'accélèrent. Après son interview dans Rock
& Folk, Marcel avait confié sa vision ambitieuse du
développement de sa technique et de la musique à Jacques Vassal.
«Il m'a demandé si le magazine était susceptible de s'intéresser
à une rubrique pédagogique qu'il voulait proposer. Je n'y croyais
pas trop, mais ayant moi-même expérimenté le bien fondé de son
enseignement, j'ai soumis l'idée à Philippe Koechlin, le rédac'
chef, qui a accepté de le rencontrer». Marcel nous avait raconté
l'épisode: (J'ai fini par aller au journal avec une guitare. J'ai
mis Philippe Koechlin devant une tablature et il y est arrivé sans
jamais avoir touché l'instrument.» Banco donc pour la Guitare à
Dadi qui démarre dans le magazine en 1972. Banco gagnant car les
transcriptions que Marcel fournit mensuellement ne se limitent pas
aux seuls classiques du picking, mais s'ouvrent largement aux hits
du moment. Un succès immédiat qui propulse partout en France le
nom de Marcel Dadi qu'on voyait aussi à la télé dans l'émission
Epinettes & Guimbardes de Lionel Rocheman. Il devenait temps de
concrétiser cet engouement par un disque.
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Phillipe Koechlin
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1973, Jean-Michel Gallois Montbrun, le premier
directeur artistique de Marcel, les frères Charnoz qui lancent une
souscription, Gérard Tournier, le producteur, conjuguent leurs efforts pour
faire enregistrer à Marcel son premier album. Jean-Michel Gallois Montbrun: «Marcel
a tout enregistré en trois heures dans un petit studio quatre pistes parisien
Nous avions décidé d'inclure les tablatures de ses compositions dans le
disque. Il les avait faites au brouillon, j'ai été moi-même obligé de les
recopier au propre et à l'encre. On y croyait pas comne le patron des disques
AZ, le distributeur de La Guitare à Dadi, qui
m'avait dit compter sur la famille de Marcel pour en vendre au moins 12. Résultat,
disque d'or et en cumulant les annonces, on doit arriver à 200-300.000
exemplaires vendus de cet album légendaire à la pochette signée du
dessinateur Mandryka. Le phénomène Dadi était cette fois lancé à pleins
tubes. Les disciples du guitariste se multiplient. Michel Haumont: «Il m'a tout
appris. J'ai pris des cours avec lui à cette époque et son enseignement
limpide était aussi impressionnant que son jeu. Je me suis mis à bosser comme
un fou au point que j'ai fini par le remplacer comme prof quand il a arrêté.»
1973, c'est aussi l’annonce de la première méthode, La Guitare à
Dadi, qui
se vendra à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Joseph Béhar,
dirigeant de Musicom, alors Music Express: «Nous venions de lancer notre société
d'édition et nous cherchions plutôt à traduire les recueils américains d'Oak
Publications. Et j'ai rencontré Marcel. Sa célébrissime méthode était déjà
légendaire avant qu'elle ne sorte. Un jour dans un magasin je tombe sur Maxime
Leforestier qui le connaissait depuis le Centre Américain. Il me présente,
voici l'éditeur de LA méthode, elle est formidable. II ne l'avait pourtant pas
vu puisqu'elle était encore à l'état de bouts de feuilles manuscrites à
moitié lisibles scotchées les unes aux autres. On a même dû passer les
premiers exemplaires à la trappe tant ils étaient bourrés d'erreurs.»
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Michel haumont |
1973 encore, le deuxième album
«Dadi's
Folk» paraît. Le mouvement explose. JeanMichel Gallois Montbrun et Frédéric
Leigbovitz qui va devenir l'éditeur discographique de Marcel profiteront bientôt
de son succès pour lancer le label Cezame où les Giroux, Haumont et autres
Bensusan s'exprimeront à leur tour. Mais 1973 sera aussi pour le déjà roi du
picking l'année de sa rencontre avec le maître Chet Atkins, qui nous l'a
raconté: «J'étais en tournée en Scandinavie et j'ai décidé de profiter
quelques jours des charmes de Paris. Un éditeur new-yorkais m'avait donné le
disque de Marcel et j'avais été sensible à ce jeune français dont le style
était influencé par le mien. J'ai cherché son numéro de téléphone et nous
nous sommes rencontrés.» Pat Vrolant était là: «Le premier jour nous avons
été au Bilboquet avec Chet et Marcel écouter Jimmy Gourley. Le lendemain,
nous avons rejoint Chet à son hôtel et pendant tout l'après-midi, lui et
Marcel n'ont pas arrêté de jouer, de discuter, de plaisanter. Et Chet a été
séduit.» Il nous l'a d'ailleurs dit: «J'ai été vraiment étonné par ce
jeune guitariste qui avait une force étonnante dans les doigts. D'ailleurs, après,
je n'arrêtais pas de le charrier sur son pouce, il possédait une façon
remarquable de s'en servir et j'ai toujours admiré sa main droite. Et puis,
loin du simple expert de la musique des autres qu'il était pourtant, il
composait d'excellentes mélodies. Avec une touche européenne inimitable.» La
rencontre entre Marcel et Chet entame une longue amitié et une collaboration au
top niveau de la guitare. Profonde. Quand nous l'avons sollicité, Chet Atkins
nous a expliqué d'une voix faible au téléphone que sa peine était si grande
qu'il ne pouvait répondre que par écrit un terrible : «J'ai perdu un de mes
meilleurs amis. Je pense parfois qu'il m'aimait autant que sa femme Catherine ou
ses frères et sœurs. Je ressentais la même chose envers lui . » Chet Atkins
n'allait pas être le seul grand américain lié à Marcel.
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Revenons en 1973. Jusque là, Marcel jouait en
acoustique d'abord sur sa Gibson J 55, puis sur une Martin sans tige de réglage
qu'il avait été obligé de faire revoir par les luthiers Jacobacci, puis une
autre. La légende veut qu'il ait emprunté celle de Pat Woods pour enregistrer
son premier album. Pat Vrolant avait entre-temps incité Marcel à donner, ses
cours dans un nouveau magasin, Central Folk. Là, un jour où l'importateur de
la jeune marque de guitares Ovation posait un poster «en démo... X et sa
guitare magique», Pat lui suggère d'engager plutôt celui qui faisait parler
de lui, Marcel. Et Dadi rencontra Ovation. Il allait se passionner pour les
produits novateur de la firme du constructeur d'hélicoptères et guitariste
Charles Kaman. La caisse arrondie des Ovation lancées en 1966, le Lyrachord,
composite de fibre silicone et de résine dont elle est faite, l'électronique
à cristaux piézo-électriques vont devenir inséparables de l'image de Marcel
qui sillonne la France pour de très événementielles tournées-démonstrations.
Il va même bientôt participer à la conception du modèle high tech qu'Ovation
à commencé; étudier dès 1972,l'Adamas.
Charles Kaman nous l'a confirmé: «Marcel a été l'un de nos premiers
endorseurs que nous l'avons consulté pour faire évoluer le son de cette
guitare à table synthétique et aux épaulettes remplaçant la rosace.» De
cette collaboration allait naître là aussi, une vraie relation d'amitié entre
Marcel et Charles Kaman Gérard Garnier, actuel importateur d'Ovation: |
Les frères Jacobacci |
«Ce grand patron américain a été attiré par le guitariste français. Depuis
qu'ils avaient passé de longs moments dans l'atelier attenant à sa maison de
Bloomfield, ils étaient devenus amis et n'hésitaient pas à taper le bœuf
ensemble.» Le reportage que Marcel avait consacré à la sortie de l'Adamas
dans le magazine L).I.S.C. où il était «chef de rubrique guitare» témoigne
de cette étonnante aventure.
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Marcel qui ne cesse de faire progresser sa
technique pourtant déjà monstrueuse devient alors une star. Les disques se
parent d'or (La Guitare à Dadi n°
3), il sort
une nouvelle méthode pour débutants chez Paul Beuscher dont, selon Philippe
Vuibout, 127.500 exemplaires se sont vendus. Et surtout, il multiplie les
concerts et va attacher son nom au temple de la musique de l'époque: l'Olympia,
où il s'était déjà produit quand les Hottenannies s'y étaient installés.
Mais cette fois, c'est bien en son nom propre qu'il s'y produit. En 1974
avec une pléiade de français dont "Il Etait Une Fois" ou Pierre Fanen. Comble de bonheur, il retrouve le célèbre musical en 1977
avec Chet Atkins cette fois. Fort de son succès, il persuade RCA de sortir
enfin en France les disques du maître. La suite, tout le monde la connaît. Les
albums cartonnent, « Dadi and Friends 1 »
(75), puis 2
retracent en live les concerts à l'Olympia,
Marcel part vivre son rêve en enregistrant les Light's
Up Nashville 1 & 2 (76) dans la Mecque de la musique entouré des
plus grands. Il ouvre un premier magasin à Paris en 1974 dont la publicité
dans Rock & Folk envoie en masse les guitaristes ravis de le rencontrer là,
prêt à leur démontrer lui même les qualités d'un instrument et toujours en
veine d'un conseil. En 1976, il demande au constructeur français Comel de lui
étudier un ampli capable de reproduire fidèlement le son de ses Ovation. Ce
sera le "Charlie", le premier ampli
pour électroacoustique qui sort en 1977. L'homme ne s'arrête jamais. Il part
à Londres jouer avec John Renbourn et Stefan Grossman pour un concert dont Frédéric
Leibovitz se souvient encore: «C'était un samedi soir, l'heure approchait, je
m'impatientais parce que ce show était important, une reconnaissance
internationale pour Marcel qui, lui, attendait imperturbable que le soleil se
couche avant de bouger. Il n'a jamais transigé avec ses profondes convictions
religieuses.» Les anecdotes de ce genre se sont produites des milliers de fois
dans la carrière du guitariste dont la foi juive était intimement inscrite
dans sa vie. Imaginez ses difficultés à trouver de la nourriture
"casher" à Nashville ou en tournée. Car les tournées, Marcel en
faisait beaucoup.
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Au
milieu des années 70, la star qu'il était devenu pouvait se permettre
d'emmener avec lui en tournée un véritable orchestre. Jean-Félix
Lalanne: "J'avais 13 ans quand il a accepté de me rencontrer.
Quand j'ai sorti mon Ovation Custom Legend, il a été surpris qu'un
gosse ait déjà une telle guitare. Et puis je lui ai joué Song For
Chet. Le soir même, il me mettait sur scène. Il a été pour moi ce
que Chet a été pour lui, j'ai travaillé sa musique et ses méthodes
avec la même boulimie". Marcel et Jean-Félix se retrouveront sur
scène plus tard. Comme Christian Laborde, jusque là sagement au
Conservatoire de Toulouse avant de rencontrer Marcel en tournée en
1976: «Marcel était le seul grand guitariste à sillonner la province.
Cela a été une vraie révélation pour moi de le voir. Je me suis mis
à bosser sa technique, à progresser. Je suis resté en contact avec
lui et un jour dans un concert à Toulouse, il m'a fait monter sur
scène en me présentant flatteusement.» Et les années 70 défilent à
toute allure pour le super picker qui trouve encore le moyen de signer
un modèle électrique demi-caisse
Ibanez Marcel Dadi ou de mettre les Beatles en
tablatures.
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Christian laborde |
Le début des années 80 va marquer une nouvelle
ère. Marcel affine toujours son style, son extrême maîtrise technique et son
appétit de musique insatiable lui font aborder des horizons moins nashvilliens.
New Style (81), Dadi 2 Guitares (82) en Il s'était entouré du groupe
Long Distance, avec Jean-Marie Redon, une vieille connaissance du Centre Américain,
tout comme le pedal steel Jean-Yves Lozach. Jean-Marie Redon: «Un jour à
Marseille, Marcel a fait monter sur scène un môme qui jouait à la perfection
ses morceaux.» C'était Jean-Félix Lalanne. Car si Marcel était un fou de
guitare, c'était aussi un amoureux des guitaristes. Un amateur prêt à pousser
sur le devant de la scène ceux qui lui semblait posséder la flamme des grands.
Le duo avec Jean-Félix Lalanne et Christian Laborde sortent alors avec un écho
certain chez les amateurs. Mais l'époque n'est plus tout à fait la même. La
musique a changé, les synthés ont débarqué, la vague folk reflue et
l'ambitieux album "Dimanche après-midi"
déroute les fidèles. La maison de disques du moment s'enthousiasme peu pour
les projets du guitariste. Lui qui n'avait pas dételé depuis de longues années
décide de faire un break. Marcel part en Israël en 1983. Il y restera cinq
ans. Jean-Félix Lalanne: «Il m'avait dit, je veux voir mes enfants grandir».
Evidemment, il n'abandonne pas la guitare. Il étudie, peaufine, se plonge plus
encore dans l'approfondissement de Merle Travis et compose. Il rédige une
nouvelle méthode évoluée, «Les grands secrets révélés», 300 pages qui
sortiront plus tard. Quand il revient en France, c'est pour travailler à
nouveau avec JeanFélix Lalanne: «Nous avons beaucoup bossé ensemble pour préparer
l'Olympia 88 et la tournée qui a suivi. Marcel
me laissait parfois travailler seul mes morceaux en précisant qu'il ne voyait
pas ce qu'il pouvait y ajouter. Mais petit à petit, il s'est pris au jeu. Moi
aussi, alors que j'étais plus plongé dans le travail de composition et de
production que d'interprète. Il était revenu avec un univers mélodique plus
fin, plus mûr, s'était détaché de la performance.» Le disque qui rend
compte de ce travail, Country et Gentleman (88) marque
le retour de Marcel au premier plan.
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J.M. Redon |
Il va alors devenir un véritable missionnaire de
la guitare. Multipliant les projets et les participations, il s'implique dans l'Atkins
Dadi Guitar Players Association dont la rubrique marque les débuts de
Guitarist Magazine et une formidable offensive pour mettre en avant les nouveaux
talents. Robert Nephtali, alors président, suit les conseils de Marcel: «Avant
d'aller voir Guy Dupont, rédac'chef de Guitares & Claviers, il m'avait dit
de gonfler à 1200 membres notre toute jeune association. Nous avons donc annoncé
en chœur ce chiffre. Un peu plus tard, en passant sur le pont de l'Alma, Guy se
penche pour me montrer, d'après lui, une moto immergée dans la Seine depuis
1944. Si tu divises le nombre par deux, j'éteins le phare rigola-t-il.» L'A.D.G.P.A.
va pourtant prendre de l'ampleur. On la verra s'exprimer au Festival Cannes
Guitares Passion avec Chet Atkins, dans les Conventions qu'elle organise à Issoudun
où les stars côtoient les talents moins connus et dans une furieuse propagande
tous terrains pour la guitare. Marcel, qui entre-temps a aussi sorti la «Règle
à Dadi», un outil complet indiquant les positions des gammes, des
modes, des accords sur le manche de l'instrument, n'en a pas pour autant
abandonné sa carrière. En 1990, il part à Nashville pour enregistrer trois
nouveaux albums en une session que réalise et arrange Slim Pezin: «On a fait
32 titres en 10 jours. Marcel me donnait de nouveaux morceaux le soir pour que
je fasse les arrangements dans la nuit afin d'enregistrer le matin suivant.»
Perfectionniste comme il l'a toujours été dans ces cas là, Marcel n'hésite
pas à faire recommencer à Steve Morse des chorus que tout le monde trouvait
bons. Steve Morse: «Si ce n'avait pas été lui, je ne l'aurais jamais fait.
Mais il le demandait d'une façon si relax, si cool, en s'inquiétant de savoir
si vous n'aviez pas besoin de quelque
chose. Et puis, j'étais si content de me retrouver avec des stars du country
comme Chet Atkins, Albert Lee ou Buddy Emmons.» Larry Coryell, qui avaient déjà
tourné avec lui et étaient aussi présents, appuie: «Il savait faire
rencontrer les guitaristes entre eux et je n'oublierai jamais que, grâce à
lui, j'ai pu jouer avec Chet Atkins. Il avait un véritable amour pour ce qui
pouvait arriver de bon aux autres, un genre de Bouddha. Energique, malicieux,
exigeant. Je ne peux pas y croire.» Une phrase qu'on nous a si souvent répété.
Nashville rendez-vous, Fingers Crossings et
Country
Guitar Flavors, issus de ces séances, seront les derniers albums de
Marcel.
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Buddy Emmons
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Larry coryell |
Des projets toujours plein la tête, Marcel était
pourtant sur le point de remettre ça. Claude Samard: « Nous venions de jouer
ensemble quelque trucs en open et cela avait ouvert de nouveaux horizons à
Marcel auquel j'avais suggéré une voie plus world music. Il m'avait dit qu'il
avançait...» Là ou Marcel avait aussi, avance, c’était dans la création
de Pro Music, sa firme de distribution des guitares Taylor, Lowden, Heritage,
des amplis Koch. A Nasville, au moment d'être intronisé pour un dernier
honneur au Walkway of Stars du Country Music Hall of Fame, il venait de signer
un contrat d'endorsement avec Godin, encore un constructeur novateur qui l'avait
intéressé. Comme nous l'a dit Michel Dorat, l'homme qui importe Ibanez en
France: «Je ne peux pas m'empêcher de penser à la coïncidence qui a fait que
l'avion s'écrase au dessus de Long Island, là où Marcel avait été tant de
fois chez son ami Jerry Barberine, le créateur des cordes d'Angelico. Dire que
Marcel m'avait fait passer ma peur de l'avion avec sa science de kinésithérapeute
! » La société Pro Music va continuer, ses disques et ses méthodes
resteront, mais il va nous manquer.
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